Description de la Grotte de Versailles, par Jean de Lafontaine

Dans l'un de Dieu du jour achève sa carrière;
Le sculpteur a marqué ces longs traits de lumière,
Ces rayons dont l'éclat dans les airs s'épanchant
Peint d'un si riche émail les portes du Couchant.
On voit aux deux côtés le peuple d'Amatonte
Préparer le chemin sur des Dauphins qu'il monte.
Chaque Amour à l'envie semble se réjouir
De l'approche du Dieu sont Thétis va jouir.
Des troupes de Zéphirs dans les airs se promènent;
Les Tritons empressés sur les flots vont & viennent.
Le dedans de la Grotte est tel que les regards
Incertains de leur choix courent de toutes parts.
Tant d'ornements divers, tous capables de plaire;
Font accorder le prix tantôt au statuaire,
Et tantôt à celui dont l'art industrieux
Des trésors d'Amphitrite a revêtu ces lieux.
La voute & le pavé font un rare assemblage:
Ces cailloux que la mer pousse sur son risage,
Ou qu'enferme en son sein le terrestre élément,
Différents en couleur, font maint compartiment.
Au haut de six piliers d'une égale structure,
Six masques de rocaille à crotesque figure,
Songes de l'art, démons bizarrement forgés,
Au dessus d'une niche en face sont rangés.
De mille raretés la niche est toute pleine.
Un Triton d'un côté, de l'autre une Sirène,
Ont chacun une conque en leurs mains de rocher:
Leur souffle pousse un jet qui va loin s'épancher.
Au haut de chaque niche un bassin répand l'onde:
Le masque la vomit de sa gorge profonde.
Elle retombe en nappe, é comporte un tissu
Qu'un autre bassin rens si-tôt qu'il l' reçu.
Le bruit, l'éclat de l'eau, sa blancheur transparente,
D'un voile de cristal alors peu différente,
Font goûter un plaisir de cent plaisirs mêlé.
Quand l'eau cesse, & qu'on voit son cristal écoulé,
Le nacre & le corail en réparent l'absence:
Morceaux pétrifiés, coquillage, croissance,
Caprices infinis du hasard & des eaux,
Reparaissent aux yeux plus brillants & plus beaux.
Dans le fond de la grotte une arcade et remplie
De marbres à qui l'art a donné de la vie.
Le Dieu de ces rochers sur une urne penché
Goûte un morne repos en son antre couché.
L'urne verse un torrent ; tout l'antre s'en abreuve;
L'eau retombe en glacis, & fit un large fleuve.
J'ai pu jusqu'à présent exprimer quelques traits
De ceux que l'on admire en ce moite palais;
Le reste est au dessus de mon faible génie:
Toi qui lui peux donner une force infinie,
Dieux des vers & du jour, Phoebus inspire moi;
Aussi bien désormais faut-il parler de toi.
Quand le Soleil est las, & qu'il a fait sa tâche,
IL descend chez Thétis, & prend quelque relâche.
C'est ainsi que Louis s'en va se délasser
D'un soin que tous les jours il faut recommencer.
Qi j'étais plus savant en l'art de bien écrire,
Je peindrais ce Monarque étendant son empire.
Il lancerait la foudre; on verrait à ses pieds
Des peuples abattus, d'autres humiliés.
Je laisse ces sujets aux maîtres du Parnasse;
Et pendant que Louis peint en Dieu de la Thrace
Fera bruire en leurs vers tout le sacré vallon,
Je le célèbrerai sous le nom d'Apollon.

******************************

O qui pourrait décrire en langue du Parnasse
La majesté du Dieu, son port si plein de grâce,
Cet air que l'on n'a point chez nous autres mortels
Et pour qui l'âgfe d'or inventa des autels!
Les coursiers de Phoebus, aux flambantes narines,
Respirent l'ambroise en des grottes voisines.
Les Tritons en ont soin : l'ouvrage est si parfait
Qu'ils semblent panteler du chemin qu'ils ont fait.
Aux deux bouts de la grotte, & dans deux enfonçures,
Le Sculpteur a placé deux charmantes figures.
L'une est le jeune Atis aussi beau que le jour.
Les accords de sa flûte inspirent de l'Amour?
Debout contre le roc, une jambe croisée,
Il semble par ses sons attirer Galatée;
Par ses sons; & peut-être aussi par sa beauté.
Le long de ces lambris un doux charme est porté,
Les oiseaux envieux d'une telle harmonie,
Epuisent ce qu'ils ont & d'art & de génie.
Philomèle à son tour veut s'entendre louer:
Et chante par ressorts que l'onde fait jouer;
Echo même répond ; Echo toujorus hôtesse
D'une voûte ou d'un roc témoin de sa tristesse.
L'onde tient sa partie : il se forme un concert
Où Philomèle, l'eau, la flûte, enfin tout sort.
Deux lustres de rocher de ces voûtes descendent.
En liquide cristal leurs branches se répandent.
L'onde sert de flambeaux ; usage tout nouveau.
L'art en mille façons a su prodiguer l'eau.
D'une table de jaspe un jet part en fusée ;
Puis en perles retombe, en vapeur, en rosée.
L'effort impétueux dont il va s'élançant
Fait frapper le lambris au cristal jaillissant.
Telle & moins violente est la bâle enflammée.
L'onde malgré son poids dans le plomb renfermée
Sort avec un fracas qui marque son dépit,
Et plaît aux écoutants plus il les étourdit.
Mille jets dont la pluie à l'entour se partage,
Mouillent également l'imprudent & le sage.
Craindre ou ne craindre pas à chacun est égal;
Chacun se trouve en bute au liquide cristal.
Plus les jets sont confus, plus leur beauté se montre.
L'eau se croise, se joint, s'écarte, se rencontre,
Se rompt, se précipite à travers les rochers,
Et fait comme alambics distiller leurs planchers.
Niches, enfoncements, rien ne sert de refuge.
Ma muse est impuissante à peindre ce déluge.
Quand d'une voix de fer je frapperais les cieux,
Je ne pourrais nombrer les charmes de ces lieux.